Des types de narrateurs
Le plus compliqué au moment de réaliser une classification est d’établir un critère. Cependant, ici, nous rencontrons en outre une difficulté supplémentaire car nous pouvons certainement trouver autant de types de narrateurs que de narrateurs.
Néanmoins, après avoir évalué un grand nombre d’options différentes et échangé une bonne poignée de courriers électroniques avec Juan José Prat Ferrer (folkloriste et professeur à l’IE University de Ségovie), j’ai tenu compte de deux critères au moment de réaliser cette classification : contextuel et groupal.
En ce qui concerne le critère contextuel. Ce critère fait référence au temps et à l’espace et inclut deux possibilités : que le temps/l’espace soit préparé pour conter des contes ou non.
Quant au critère groupal : que le groupe soit ou non d’égaux, répondant dans ce sens au fait que toute personne à tout moment peut assumer la voix et conter ou non. L’apport de Juan José Prat Ferrer pour parvenir à ce critère a été indispensable.
La combinaison de ces deux critères (contexte oui/non et groupe d’égaux oui/non) nous donne quatre types de narrateurs possibles.
Je souhaiterais préalablement clarifier que cette classification n’est pas rigide dans le sens où un narrateur, une narratrice, fait partie d’un type ou d’un autre. De mon point de vue, la personne qui conte peut entrer dans les quatre catégories en fonction de la façon dont les deux critères sélectionnés s’articulent selon le moment où l’on conte.
Et le résultat, dans ce cas, serait le suivant :
Le narrateur populaire serait la personne qui conte entre égaux dans un contexte non spécifiquement préparé pour la narration. Par exemple, entreraient dans cette classification les narrateurs et les narratrices traditionnels qui font partie de la chaîne de transmetteurs de contes traditionnels ou les narrateurs sociaux (tels que Juan José Prat Ferrer les définit) qui pourraient être la personne qui conte une histoire drôle ou une légende urbaine au comptoir d’un bar ou les narrateurs spontanés (tels que Ana María Bovo les définissait). [égaux oui / contexte non]
Le narrateur instrumental serait la personne qui conte non pas entre égaux et dans un contexte non préparé. Dans ce cas, le conte sert normalement, aussi, de moyen d’obtenir d’autres objectifs. Un exemple clair pourrait être celui d’une maîtresse qui conte un conte en classe (pour travailler la capacité d’attention de ses élèves) ou d’une bibliothécaire qui conte un conte dans une bibliothèque (pour encourager les utilisateurs à lire le livre) ou d’un libraire qui conte un conte dans sa librairie (pour que les clients de sa librairie l’achètent) ou d’un religieux qui conte un conte pour expliquer une idée. [égaux non / contexte non]
Le narrateur circonstanciel serait la personne qui conte parmi ses égaux et dans un contexte qui est en effet préparé pour conter des contes. À titre d’exemple, les événements populaires au cours desquels on invite les assistants à conter des contes : un marathon de contes, une fête d’oralité dans une école. Également en guise d’exemple, les espaces traditionnels dans lesquels des gens se réunissaient ex professo pour écouter des contes (dans les rues, sur les places, dans les maisons, etc.). Voire une mère ou un père qui conte un conte à son fils avant qu’il aille se coucher. [égaux oui / contexte oui]
Le narrateur professionnel serait la personne qui conte à un groupe non pas d’égaux et dans un contexte qui est en effet préparé pour conter des contes. Cette catégorie est essentiellement constituée par le collectif des narrateurs et des narratrices qui ont fait des contes leur métier et qui, par conséquent, touchent un cachet pour cela et paient également leurs impôts pour cela, comme toute autre profession. Pour cela, ils sont censés avoir des connaissances et dominer les rudiments propres à leur métier. [égaux non / contexte oui]
Ce qui est peut-être intéressant de cette classification est le fait qu’une catégorie n’en exclut pas une autre. Il se peut, par exemple, qu’une narratrice populaire (une grand-mère, par exemple) soit invitée à conter lors d’un marathon de contes (et par conséquent elle serait également, à ce moment-là, narratrice circonstancielle). Il se pourrait qu’une narratrice instrumentale (une maîtresse, par exemple) se distingue tout particulièrement pour son habilité à conter des contes et qu’on lui demande de conter dans d’autres centres, finissant par être payée pour cela et, par conséquent, entrant dans la catégorie de narratrice professionnelle.
De fait, il est normal qu’il existe une convergence de catégories et que, avant de devenir un narrateur professionnel, censé manier (et dominer) les ressources d’un métier, le narrateur soit passé par l’une ou plusieurs des autres catégories.
Pep Bruno
Traduit par Nathalie Robert